La protection de la nature doit répondre aux besoins des populations
- gregorio caruso
- 23. Dez. 2024
- 3 Min. Lesezeit
Le botaniste et conservateur du jardin botanique de Genève, Cyrille Chatelain. a attiré très tôt l’attention sur la disparition de la forêt pluviale de Taï en Côte d’Ivoire grâce à des images satellites. Il en est convaincu : ce n’est qu’en compensant suffisamment la population locale que l’on pourra sauver les arbres restants.

C yrille Chatelain a été l’un des premiers à s’appuyer sur des images satellites détaillées pour attirer l’attention sur la rapide disparition des forêts en Côte d’Ivoire. Dans les années 90, une grande partie des forêts avaient déjà disparût ; et en tant que jeune botaniste, il se demandait s’il valait la peine de préserver les derniers fragments forestier du domaine rural afin d’assurer la survie des plantes et des animaux menacés, comme cela se fait au Ghana ou en Guinée.
Pendant ses six années d’études en Côte d’Ivoire, Cyrille Chatelain a toujours cherché à se rapprocher de la population locale. Il a passé la nuit dans les villages, a mangé avec les chefs de village, s’est nourri de leurs expériences et a parcouru la forêt avec les experts locaux. En tant que botaniste, il a toujours pu obtenir la confiance des villageois. «Si l’on s’engage pour les animaux, on représente une menace potentielle pour la population, car on veut interdire la chasse. Si l’on s’engage pour les plantes, on est un docteur parce que les plantes soignent les gens», dit-il.
Pour Chatelain, qui a travaillé dans de nombreux pays d’Afrique, la question de la disparition des forêts n’est pas seulement économique mais aussi culturelle. Pour les anciennes générations, certaines forêts étaient sacrées car elles étaient le lieu où ils pouvaient entrer en contact avec leurs ancêtres, les autres forêts étaient considérées comme un bien
communautaire, un héritage, même si elles représentaient un milieu hostile puisqu’elle recouvrait tout, ce qui peut paraître paradoxal. Les guérisseurs des villages autour de la forêt de Taï connaissaient les plantes qui les soulageaient en cas de maladie. La forêt servait de pharmacie, de gardemanger et de puits. Mais cette connaissance des services
« écosystémiques » de base n’a pas été transmise, sinon relégué au second plan par les troubles politiques et la pauvreté rampante des populations. Celui qui a faim n’hésite pas
longtemps à abattre un chimpanzé pour participer au commerce florissant de la « viande de brousse ».
La science pourrait jouer un rôle important dans ce domaine. Depuis le milieu des années 1970, des primatologues du scientifique suisse Christoph Boesch, récemment décédé, étaient actifs dans la forêt de Taï. Les scientifiques étudiaient le comportement des primates, ils s’entretenaient avec les autorités lorsqu’ils entendaient de loin des coups de feu ou les sons stridents de tronçonneuses. « La simple présence des équipes internationales de chercheurs offrait
une certaine protection à la forêt de Taï», explique Cyrille Chatelain. Le « Taï Chimpanzee Project » est aujourd’hui poursuivi par le Centre Suisse de Recherches Scientifiques (CSRS) à Adiopodoumé, en collaboration avec l’Université de Lyon.
Mais le véritable problème de la protection de la nature est la focalisation souvent unilatérale sur les animaux et les plantes. En d’autres termes, la protection de la nature se fait sur le dos des populations locales. « La protection de la nature doit toujours prendre en compte les besoins de la population », explique Cyrille Chatelain. Il est important d’investir dans le développement des paysages villageois, de créer de nouveaux postes pour la jeunesse et de compenser les braconniers qui perdent une importante source de revenus et de nourriture à cause des interdictions unilatérales.
Ce message a également été entendu par Inza Koné. Le directeur du Centre Suisse de Recherches Scientifiques (CSRS) est le premier primatologue de Côte d’Ivoire. Et connaît la
forêt de Taï comme sa poche. En collaboration avec l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH), le « Helmholz Institute for One Health » et l’Université de Lyon,
il est en train de mettre sur pied un grand programme de longue durée sur la biodiversité dans la forêt de Taï. « Je veux transformer la forêt de Taï en un grand ‹observatoire de la biodiversité› pour fournir des données scientifiques aux décideurs politiques », dit-il. Des équipes de botanistes, de zoologistes et d’anthropologues de Côte d’Ivoire et du monde entier participent au projet. Les besoins et l’avancement des communautés villageoises locales sont des élé-ments essentiels du projet. Pour Cyrille Chatelain, qui a vécu de près la disparition des ressources forestières mondiales, c’est un pas dans la bonne direction. «Je suis toujours optimiste. Une partie de mon être est finalement africaine», dit-
il en riant.
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